Alors que l’intelligence artificielle générative progresse à un rythme exponentiel, que les entreprises technologiques rivalisent pour mettre au point des modèles toujours plus performants – vantant leur incroyable potentiel au service de l’humanité – et que les gouvernements du monde entier semblent fascinés par leur impact économique, se contentant bien souvent de légiférer de manière à ne pas freiner leur essor, il est plus que jamais nécessaire de porter un autre discours. Il faut renforcer les voix qui, au sein de nos sociétés, s’alarment des dérives profondes de ces technologies et de leurs conséquences sur des millions de travailleuses et travailleurs, menacés de perdre leur emploi si l’IA n’est pas strictement encadrée et contrainte à demeurer un outil – certes puissant – mais au service du travail humain, et non un ersatz destiné à le remplacer.
Tous les secteurs sont concernés, y compris celui des arts et du divertissement – ce dernier peut-être même en première ligne à court terme. La voix, l’image et la ressemblance des artistes figurent parmi les données les plus massivement exploitées, souvent sans consentement ni rémunération, pour entraîner des IA à générer des contenus visant à les imiter, voire à créer des artistes de synthèse. C’est une forme modernisée, radicale et techno-cynique de dumping social. Car quoi de plus cynique que de remplacer un être humain, non plus par un autre travailleur sous-payé et sous-protégé, mais par une machine sans rivale, capable de fonctionner 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, sans congés payés, sans assurance maladie, sans droits sociaux ? Une machine qui ne bénéficie d’aucun des acquis durement obtenus par des générations de luttes ouvrières, pour que le travail humain soit reconnu à sa juste valeur, et permette à chacun·e de vivre dignement – non pas comme des bêtes de somme, mais comme des êtres humains accomplis, épanouis, et pleinement acteurs de la société.
Une IA sans encadrement, c’est l’équivalent numérique du glyphosate : une technologie vouée à éliminer toute forme de concurrence humaine « laborieuse », tout en prétendant offrir, à elle seule, ce qui serait supposément bon pour la planète. Un système qu’on programme à imiter le fonctionnement du cerveau humain, mais sans qu’il puisse jamais comprendre ce mélange unique d’expérience, de vécu et d’émotions qui fonde la singularité et la richesse de chaque individu. Et tout comme le glyphosate, cette promesse de productivité pourrait déboucher sur un appauvrissement massif : uniformisation, disparition de la diversité, perte de sens, et au bout du compte, un poison transmis aux générations futures. À elles de gérer les conséquences…
L’IA – et l’IA générative en particulier – doit rester un outil au service des humains. Elle doit nous aider à faire mieux, pas nécessairement plus ; à répondre aux grands défis de notre époque, à repenser nos modes de vie, trop souvent dictés par un néolibéralisme effréné. Elle doit permettre à chacun et chacune de trouver sa place dans la société, de vivre dignement, et de préparer un avenir durable. Elle doit sublimer le génie humain, non s’y substituer. Elle peut soulager les tâches les plus pénibles, mais ne doit jamais effacer la main, l’esprit et la voix de celles et ceux qui créent, pensent, transmettent. Cela dépend de nous, de notre engagement individuel et collectif, de notre capacité à dire non, y compris dans notre quotidien, et à exiger de nos représentant·es qu’iels rendent des comptes. Il n’est pas nécessaire d’être expert·e ou ingénieur·e pour avoir son mot à dire. La majorité de nos décideur·es ne le sont pas non plus, et pourtant, iels légifèrent. Nous avons toutes et tous le droit – et le devoir – de nous exprimer.
Nous devons élever nos voix, maintenant, car c’est maintenant que tout se joue.
Dans notre secteur, les effets se font déjà sentir : dans le doublage, la voix off, l’animation, le jeu vidéo, les voix de synthèse remplacent peu à peu les voix humaines. Demain, ce seront les acteurs et actrices eux-mêmes – leur jeu, leur image, leurs gestes et leurs voix – que l’on imitera, parfois avec brio, souvent sans âme, dans une supercherie numérique presque parfaite. Un miroir aux alouettes.
C’est aujourd’hui que nous devons agir, et tous nous sentir concernés. Depuis le début, la FIA milite pour une IA générative éthique, fondée sur le consentement éclairé, la transparence, des usages autorisés et une rémunération équitable. Ces principes nous amènent à soutenir toutes les initiatives, dans notre secteur comme ailleurs, qui défendent les mêmes valeurs. Récemment, nous avons apporté notre soutien à une déclaration issue du milieu artistique québécois, que nous vous invitons également à appuyer, ainsi qu’à un appel lancé au Festival du Film d’Animation d’Annecy, alertant sur les ravages de l’IA générative dans ce domaine spécifique. Nous encourageons tous nos adhérents et affilié·es à les lire, à les soutenir s’iels le peuvent, et surtout à s’en inspirer pour porter le même message au niveau national. Au plus nous ferons du bruit, au plus nous aurons de chances d’obtenir un changement de cap.
Ensemble, faisons entendre notre voix ! Tant qu’elle est encore à nous.