Le temps presse et la tension est de plus en plus forte pour finaliser certaines réformes ambitieuses dans l’UE. En 2019, la nouvelle Commission entrera en fonction et les élections post-Brexit pourraient fondamentalement modifier l’actuel équilibre politique au Parlement européen. Les députés européens seront bientôt davantage concentrés sur leur réélection que sur l’es dossiers en cours de négociation à Bruxelles. Ce n’est donc pas le moment idéal pour essayer de faire adopter des mesures qui, en plus, génèrent beaucoup de frictions. Or, si cela n’aboutit pas, il est possible que la réforme du droit d’auteur et la modernisation du cadre juridique de la radiodiffusion soient abandonnées pour les années à venir.
Cela ne serait pas forcement une mauvaise chose. En effet, la révision de la directive « satellite et câble », menaçant d’étendre le principe du pays d’origine à tous les contenus radiodiffusés en ligne et étendant la gestion collective obligatoire à tous les droits de retransmission simultanée au-delà du câble, a été violemment accusée de détruire le système de licences territoriales et de remettre en cause la viabilité à long-terme du secteur audiovisuel. Son deuxième objectif est également miné par la technologie d’injection directe, que la Cour de Justice a récemment définie comme un acte de communication au public et non de retransmission. La nouvelle régulation pourrait donc finir par être inutile au mieux, irresponsable au pire. Ayant approuvé leurs mandats respectifs, le Conseil, le Parlement et la Commission se réunissent maintenant en ‘trilogue’ (jargon européen pour ‘dialogue tripartite’), une phase de négociation complètement opaque où les compromis sont conclus derrière des portes fermées, à l’abri du regard public. Ayant convenu en interne d’une extension très limitée du principe du pays d’origine uniquement aux nouvelles et affaires courantes, le Parlement est dans une situation très inconfortable. Le Conseil, de son côté, souhaite que ce principe s’applique également à la distribution en ligne de contenus entièrement détenus et contrôlés par les diffuseurs. Ceci pourrait, potentiellement, aussi s’appliquer aux œuvres commissionnées et ainsi inclure la plupart des contenus audiovisuels diffusés. Avec sa proposition ultralibérale, la Commission reste fidèle à ses positions, militant auprès des colégislateurs pour achever le Marché Unique Numérique et se débarrasser du géo-blocking et de toutes formes de licences territoriales, argumentant que les consommateurs devraient pouvoir avoir accès à tout, de partout et à tout moment. Entre-temps, le Parlement a inopinément inclus l’’injection directe’ dans son rapport, ce avec quoi ni le Conseil, ni la Commission ne semblent à l’aise, à ce stade des négociations. La proposition du Parlement n’est pas entièrement inutile mais elle n’aborde malheureusement pas le problème sous le bon angle. Elle se base sur le droit jurisprudentiel de l’UE pour argumenter que les radiodiffuseurs et les distributeurs devraient être conjointement responsables pour la licence de contenus via l’injonction directe. Une fiction légale établissant l’injection directe comme l’égal de la retransmission simultanée aurait eu bien plus de sens. Cela aurait justifié l’extension de la gestion collective obligatoire au-delà du câble, protégeant une source précieuse de revenus pour les parties prenantes. Il semble pour le moment que ce mécanisme soit étendu… pour rien, dans la mesure où l’injection directe est devenue la pratique technique la plus répandue. Le trilogue devra livrer un compromis avant la fin de l’année. A l’état actuel, il est peu probable que grand monde se plaigne s’il n’y parvient pas.
Sur les droits d’auteurs, les progrès sont extrêmement lents. Les amendements de compromis informels entre les principaux groupes politiques du Parlement européen sont constamment remis en questions et le paysage est très incertain. Des idées qui semblaient écartées pour de bon continuent de revenir en rampant par l’arrière porte, nécessitant une surveillance et un combat constants.
Ayant discuté de la plus grande partie du Chapitre III du projet de directive (dont les articles 14 et 15 sur la rémunération contractuelle des auteurs et artistes-interprètes), les parlementaires débattent à présent avec acharnement des droits des éditeurs de presse et des licences de contenus sur les plateformes de partage de vidéos. La situation n’est pas prometteuse pour le moment alors que le rapporteur, le député Vöss (PPE), suggère des amendements encore plus provocateurs que la proposition initiale de la Commission.
Sur le Chapitre III, certaines améliorations provisoires méritent d’être mentionnées : une large exception aux nouvelles obligations de transparence lorsque les interprétations sont jugées « non significatives » semble avoir été supprimée de l’article 14. En outre, ces obligations devront maintenant également être étendues à tous les sous-licenciés et les obligations de transparence dans les conventions collectives, lorsque équivalentes en nature et en envergure, seront reconnues comme une alternative viable de l’industrie. La représentation collective, notamment par les syndicats, devrait également être acquise pour demander une adaptation de contrat ou l’accès à un mécanisme alternatif de règlement de litiges.
La rémunération équitable pour mise à disposition à la demande – focus de la campagne Fair Internet – n’est néanmoins pas encore en vue. C’est très regrettable. Il y a en effet peu de chance que la plupart des artistes-interprètes tirent des bénéfices significatifs de cette directive, à moins qu’ils ne soient reliés directement aux revenus des plateformes de streaming et téléchargement via la gestion collective obligatoire. Le compromis politique n’a pas encore dépassé la fade déclaration selon laquelle toute rémunération des auteurs et des artistes-interprètes doit être juste et proportionnelle. Ceci pourrait servir d’introduction décente aux provisions contractuelles et de transparence du projet de directive mais ne mettra pas d’argent dans les poches de tous les artistes-interprètes.
Les députés européens devraient revenir à cette proposition à un stade ultérieur, une fois clarifiée la question de l’’écart de valeur’ entre les plateformes type YouTube et les propriétaires de contenus (article 13). Quelque soit la forme que prendra finalement cet article, il y a de fortes chances que l’écart de valeur entre les artistes-interprètes et les producteur persiste, à moins que des mesures courageuses ne soient prises pour s’assurer qu’ils obtiennent une juste part des revenus du marché en ligne. Avec un Conseil relativement apathique, les meilleures chances d’obtenir quelque chose de prometteur de la ‘boite noire’ du trilogue pour les artistes-interprètes reposent sur un rapport courageux du Parlement, encourageant les droits des créateurs. Dans la mesure où le vote de la Commission principale (JURI) continue d’être repoussé et que l’été s’approche dangereusement, le temps presse.