Le 26 mars 2019 est un jour qui fera date. Non seulement parce qu’il a débouché sur une réforme du droit d’auteur en Europe, une réforme longuement attendue, nécessaire et obtenue au terme d’une âpre lutte, mais aussi parce que de puissants intérêts commerciaux ont été contrés et n’ont pas pu s’ingérer comme ils le souhaitaient dans le processus législatif européen ni le faire dérailler. L’adoption par le Parlement européen de la directive sur le droit d’auteur dans le marché unique numérique, qui modernise un cadre juridique vieux de 18 ans, est avant tout une victoire contre la désinformation de masse sans précédent, la cyberintimidation et la manipulation des médias sociaux – vraisemblablement orchestrées par les géants de la Silicon Valley, qui cherchent à échapper à toute responsabilité en ce qui concerne les contenus protégés par le droit d’auteur, partagés par leurs utilisateurs finaux.
La directive aborde de nombreux aspects à la fois, depuis les mesures d’adaptation des exceptions et limitations à l’environnement numérique transfrontalier, jusqu’à d’autres facilitant l’accès légal aux œuvres hors commerce. Les dispositions du chapitre III, qui traitent des relations de négociation inégales entre les artistes-interprètes et leurs employeurs/contractants, revêtent une importance particulière pour ces derniers. Un nouveau principe fondamental établit que la rémunération des artistes-interprètes et exécutants doit être proportionnée à la valeur réelle ou potentielle des droits concédés ou transférés. Cette situation contraste fortement avec certaines des pires pratiques constatées dans le secteur audiovisuel, qui obligent les artistes-interprètes et exécutants à céder tous leurs droits patrimoniaux, pour des utilisations présentes et futures et en perpétuité, moyennant une rémunération qui est souvent à peine plus que symbolique. Les montants forfaitaires, bien qu’ils soient encore possibles en vertu de la directive, ne peuvent plus être la règle et devront vraisemblablement être également revus en fonction des recettes réelles. Ces derniers peuvent également être limités à certains cas spécifiques par les États membres lors de la mise en œuvre de la directive. La directive donne aux artistes-interprètes et exécutants le droit de recevoir des informations régulières, pertinentes et complètes sur toutes les recettes générées par l’exploitation de leurs prestations et de réclamer une rémunération supplémentaire si celle initialement convenue est disproportionnellement faible par rapport aux recettes ultérieures. Des dispositions spécifiques sont également prévues pour encourager l’autorégulation par la négociation collective et pour permettre aux artistes-interprètes d’être assistés par des organisations représentatives, y compris les syndicats, lorsqu’ils font valoir leurs nouveaux droits.
Les dispositions du chapitre III de la directive – qui s’adressent également aux auteurs – permettront aux artistes-interprètes et exécutants et à leurs syndicats d’intensifier leur lutte contre les contrats de cession forfaitaire des droits et de promouvoir des normes équitables dans le secteur audiovisuel. Elles ont fait l’objet d’un travail intensif de plaidoyer de la part de la FIA et de diverses autres organisations de créateurs, alors que l’industrie y était farouchement opposée. La bataille la plus difficile, cependant, s’est révélée être ailleurs. En fait, une disposition controversée a établi un nouveau régime de responsabilité pour les fournisseurs commerciaux de services de partage de contenu en ligne comme YouTube ou Facebook, les obligeant à négocier des accords de licence avec les détenteurs de droits pour les contenus protégés téléchargés par leurs utilisateurs. Ces plateformes ont également été confrontées à de nouvelles obligations de surveiller leurs sites pour détecter tout contenu portant atteinte au droit d’auteur et de supprimer tout contenu qui n’est pas conforme à ces accords de licence. Une autre disposition visait à obliger les agrégateurs en ligne tels que Google News à demander des licences aux éditeurs pour faciliter l’accès à leurs articles de presse. Ces articles, communément appelés art. 11 et art. 13 (selon leur numérotation provisoire) ont failli faire échouer lamentablement l’adoption de la directive.
Les membres du Parlement européen ont été soumis à des pressions sans précédent et à des intimidations de la part d’une armée de robots, de blogueurs, de youtubeurs et de cyberlibétaires, qui auraient été incités par les géants de l’Internet, et la bataille a rapidement pris un tour idéologique qui a déchiré les groupes politiques et menacé de saper le processus décisionnel démocratique. A l’approche des élections européennes, ces menaces ont effectivement détourné plus d’un député de ces dispositions par crainte de ne pas être réélu. Heureusement, la directive a finalement été approuvée à une large majorité, malgré une motion de dernière minute qui aurait pu aboutir à un résultat très différent.
C’est ainsi que le 26 mars 2019 s’est finalement avéré une bonne journée pour les créateurs. Mais surtout, c’était une bonne journée pour la démocratie.