Les artistes interprètes et exécutants et autres titulaires de droits se préparent à une longue bataille pour la sauvegarde de leurs intérêts légitimes alors que la Commission et le Parlement européens paraissent déterminés à finaliser la mise en place du Marché unique du numérique en modernisant le régime européen du droit d’auteur. Parmi les nombreux éléments sur la sellette, le principe de territorialité, de même que les limitations et les exceptions, figurent parmi les priorités.
Tandis que le président de la Commission Jean-Claude Juncker multiplie les déclarations contre ce qu’il appelle les « silos du copyright » et promet de fournir aux consommateurs un accès instantané et illimité aux contenus créatifs, le vice-président Ansip et le commissaire Oettinger sont en train de préparer ce qui s’annonce être un paquet de réformes plutôt ambitieux.
Pendant ce temps, le Parlement européen a chargé son seul représentant issu du Parti pirate (la députée européenne allemande Julia Reda) de préparer un rapport d’initiative afin d’évaluer l’état d’avancement de la mise en œuvre de la directive de 2001 sur la société de l’information, une disposition clé de l’UE dans le domaine de la propriété intellectuelle. Peut-être sans surprise, le projet de rapport manque complètement son objectif et équivaut davantage à une liste de priorités du Parti pirate. Dans son état actuel, il semble tout juste bon à saper tout ce dont les industries créatives ont besoin pour générer de la croissance et des emplois, empêchant a fortiori de proposer aux publics européens une offre culturelle diverse et professionnelle.
Mme Reda appelle à se débarrasser des licences territoriales et du blocage géographique, se souciant peu de préserver les mécanismes de financement des œuvres audiovisuelles et la diversité culturelle à travers l’Europe. Malgré son plaidoyer pour de meilleurs contrats pour les auteurs et les artistes interprètes et exécutants, elle ignore tout bonnement le fait que des contrats sont inutiles s’il n’y a pas d’emplois auxquels ils peuvent s’appliquer. Contrairement à ce qui se passe dans d’autres parties du monde, le secteur du film et de l’audiovisuel en Europe est fortement tributaire de mécanismes complexes et divers pour financer la production et optimiser les recettes, notamment les fenêtres d’exploitation, les avantages fiscaux, les subsides publics, les accords de coproduction — et bien entendu aussi des licences territoriales.
Alors même que les licences et l’accès transfrontaliers sont déjà possibles et ne requièrent aucune modification du cadre juridique européen en matière de propriété intellectuelle, le secteur doit continuer à optimiser son investissement en adaptant son offre pour satisfaire les préférences de 28 publics très différents au sein de l’UE, afin de maximiser les recettes qui peuvent ensuite être investies dans de futures productions. C’est donc au secteur lui-même que doit revenir la décision finale d’octroyer des licences transfrontalières et cela doit se faire au cas par cas, plutôt que de voir ces licences octroyées d’office en vertu d’un régime légal imposé en dehors de toute considération des aléas du marché. D’un autre côté, la portabilité, c’est-à-dire la capacité des citoyens européens d’emporter leurs droits d’accès pendant une courte durée partout où ils voyagent, devrait devenir la norme – et clairement la demande croissante du marché concrétisera cet objectif.
Presque tout dans le rapport Reda va à l’encontre de l’intérêt affiché par son auteur pour l’amélioration des conditions de travail des créateurs et sert davantage les intérêts du secteur des TIC que ceux de la diversité culturelle. Harmonisation complète des droits d’auteur, exceptions et limitations obligatoires et étendues sans compensation légale pour les détenteurs des droits, durée de protection la plus courte possible, introduction du « fair use », un régime excessivement indulgent au regard des hyperliens, etc. La liste est longue et aura de profondes implications pour les artistes interprètes et exécutants ainsi que pour tout le secteur de l’audiovisuel qui leur permet tant bien que mal de vivre de leur métier.
L’Europe est à la croisée des chemins. EuroFia collabore étroitement avec d’autres organisations de créateurs pour promouvoir un régime de droits d’auteurs qui place les créateurs au centre de ses préoccupations, mais aussi pour assurer la pérennité de l’industrie du film et de la télévision dans son ensemble.